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Lidia Ferrari
Tango. Les secrets d'une danse.

Edité par : Editions Gremese.
24,50 €. xxx pages.
ISBN : 978-2-36677-037-7
 

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Article de Eric Schmitt
 
Je dois l’avouer : le titre m’a laissé initialement méfiant sur ce qu’il pouvait contenir : un énième livre définitif de « révélations » tout aussi définitives ? Il y en a déjà eu d’autres avant, et d’autres ne manqueront pas de suivre… et certains étaient très subjectifs tout en se prétendant objectifs, c’est-à-dire détenant la vérité ultime.
Mais bon, on ne formule pas un avis sur des aprioris, il faut in fine juger sur pièces !
Donc je me suis penché sur l’objet du délit supposé. A tel point que je suis tombé dedans et que je l’ai dévoré d’un trait.
Quelques mots pour présenter l’auteur. Lidia Ferrari est psy, elle vit en Italie (le livre est une traduction de l’italien) où elle enseigne aussi le tango, qu’elle a découvert il y a une bonne vingtaine d’années. Elle a déjà commis à diverses reprises des articles sur des sujets évocateurs : « le tango est-il macho ? », « Transformation de la manière de danser », « chaos sur le parquet », « Eloge de la milonga », « le rôle de la femme dans le tango »
Comme il faut commencer par le début, je n’ai donc pas zappé le préambule, qui généralement explique les intentions de l’auteur.
« Ce livre se veut utile à quiconque souhaite apprivoiser les instruments pour mieux comprendre la danse du tango et la culture qui l’entoure ; mais aussi à tous ceux qui souhaitent découvrir certains secrets que l’on ne trouve pas dans les vidéos ou en cours de danse. Il est loin du manuel d’explication des figures et des pas, typique des années vingt, mais il n’a pas non plus la prétention de remplacer le maître de tango. L’objectif de cet ouvrage est plutôt de révéler certains secrets, fruits de près de vingt ans d’enseignement, à tous ceux qui souhaitent entreprendre l’aventure infinie du tango. »
Ça rassure, il faut avouer. Ca ne sera donc pas un livre de recettes ou un catalogue de figures. Reste à voir l’articulation du propos afin de plonger dans la lecture proprement dite
Donc, voyons voir les grands chapitres :
Les Fondamentaux (posture, étreinte, connexion, conduite, marche, improvisation, musique) ; Ah très bien de commencer par-là ! On va peut-être enfin couper à la sacro- sainte tarte à la crème de la salida.
Les deux rôles (l’homme, la femme) ; Ok, c’est dans la continuité
Pour apprendre au mieux ; Hum, ça peut être le meilleur ou la pire des choses. Va falloir voir le contenu…
Une danse très personnelle ; idem
Où danser le tango ? C’est pas un catalogue de milongas forcément déjà périmé ou une sélection subjective, j’espère ?
Styles de tango ; ah tiens, le sujet qui fâche tous les gens qui ont des idées courtes… euh disons « arrêtées » pour faire politiquement correct.
Pourquoi le tango fait-il du bien ? Aïe, aïe, j’espère qu’elle ne va pas nous sortir les clichés bidons qui fleurissent sur internet qui nous expliquent que ça guérit TOUT, parce que j’en peux plus de tous ces fumés du cerveau qui nous rebattent les oreilles avec les pouvoirs supposés magiques du tango !
Le tango à l’heure d’internet : Tiens, sujet original, elle a raison, il y a des choses à dire…
Histoire du tango : ben oui, ça fait pas de mal. Espérons juste qu’on sorte des clichés
Bon, là je joue un peu les cyniques blasés, mais depuis quelques années, je dois avouer qu’il y a pas mal de choses qui me gonflent grave. En fait, pour être honnête je dois avouer que les subdivisions de chapitre (je mets d’ailleurs le sommaire en pièce jointe) m’ont un peu rassuré en laissant entrevoir le contenu.
Bon, je vous imagine, amis lecteurs, à ce stade, vous vous demandez : « Mais, nom d’un gancho, quand est-ce qu’il en vient au fait ? C’est bien ou c’est nul ? »
Bon, allez, je lève le suspense, c’est bien, et même plus que bien !
D’abord parce que la mise en page est élégante, que les photos sont belles, et que les illustrations d’époque sont choisies et même souvent originales. Ce qui ne gâche rien. Je suis même tombé en arrêt sur une photo assez peu connue où on retrouve une belle brochette de chefs d’orchestres réunis : Laurenz, Troilo, Firpo, d’Arienzo, Calo, Do Reyes, Barbero, Cosentino, Lomuto… En fait la maquette de la couverture serait même carrément en deçà, au niveau image et composition par rapport à l’intérieur du livre.
Ensuite, parce que le texte est intelligent, posé et réfléchi. Et surtout parce qu’il évite la maladie trop souvent répandue chez les auteurs de bouquins sur le tango des affirmations péremptoires. On voit clairement que Lidia Ferrari s’est attachée à clairement revendiquer le cheminement de son analyse personnelle sur certains points et à le mettre en perspective, d’aller chercher plus l’essence et le fond de la danse que la forme, quand elle parle de danse, et que, si elle aime le tango, elle ne sombre jamais dans les démonstrations vaseuses et béates visant à en faire la solution à tous les problèmes du monde (cf. le chapitre pourquoi le tango fait-il du bien ?).Enfin, elle n’hésite pas à remettre quelques pendules à l’heure. Grâces lui en soient rendues.
Je n’hésite donc pas, à ce sujet, à me livrer au plaisir de quelques citations que tant de danseurs et même d’enseignants gagneraient avec profit à méditer
Sur la danse :
« Dans le tango, le type d’étreinte n’est donc pas une question de mode mais répond à des critères fonctionnels qui doivent permettre aux danseurs de se mouvoir confortablement et d’accorder leurs sensibilités respectives. Une étreinte incommode est inutile. La clé pour réussir à danser le tango réside dans le fait d’apprendre à se conformer au corps de l’autre sans perdre sa propre autonomie. »

« L’étreinte rapprochée n’est pas la seule à pouvoir communiquer des émotions. Au contraire, celle-ci peut parfois se révéler étouffante et empêcher aux danseurs de s’exprimer pleinement. »
« L’homme conduit, mais la femme n’est pas une marionnette. »
« Une autre difficulté souvent rencontrée par ceux qui débutent le tango est de parvenir à évaluer de manière constructive leur façon de danser, et de reconnaître la distance qui existe entre ce qu’ils souhaitent faire et ce qu’ils font réellement. »
« Dans le tango, il existe une infinité de combinaisons. Chaque danseur doit trouver les siennes, sachant que les séquences prédéterminées ne représentent qu’une invitation à l’infinité de possibilités permises par le tango. »
« Lorsque les apprentis danseurs parviendront à bouger sans trop se concentrer sur la technique, ils pourront commencer à danser sur les différentes versions orchestrales de célèbres morceaux tanguera comme El Choclo, la Cachila ou El Marne, et en reconnaître les différentes interprétations. »
« L’interaction entre la mélodie, le rythme et l’harmonie peut varier et si nous ne parvenons pas à entendre la différence, c’est parce que nous nous contentons d’écouter la mélodie, qui est le seul élément identique d’une version à l’autre. »
« - Les deux rôles dépendent étroitement l’un de l’autre ;
-On ne peut apprendre le tango qu’en couple, et l’interdépendance entre les deux rôles empêche d’apprendre chaque mouvement séparément ;
-L’importance de la mécanique des pas ne réside pas dans leur chorégraphie mais dans la dynamique qui les relie grâce à la connexion entre les deux corps ;
- L’énergie indispensable à la communication qui afflue entre les deux corps est cruciale, mais elle est invisible ;
- Tenter de séparer les pas de l’homme de ceux de la femme serait un peu comme vouloir regarder un film en se contentant de regarder la pellicule. »
« L’étreinte entre les deux corps n’a pas de signification érotique en soi. Il s’agit avant tout de savoir écouter son partenaire avec sensibilité, tout en dansant au rythme de la musique. C’est cet échange, plus qu’une intention sexuelle explicite, qui confère la sensibilité à la danse. »
« Il n’y a pas d’erreurs dans le tango »
« tout le sens du verbe « suivre », c’est-à-dire se fier à l’homme avec sensibilité et disponibilité, mais aussi avec fermeté et sécurité, en préservant sa propre autonomie. Son autonomie est garante de la communication avec le danseur. »
Sur les styles :
« …il n’est pas de classification de l’univers qui ne soit pas arbitraire et le fruit de conjectures. »Jorge Luis Borges
« Le tango est indivisible en ce qu’il a des caractéristiques qui le distinguent en tant que tel. Certains tenants des polémiques sur les styles affirment que le tango qu’ils pratiquent est le seul et unique tango authentique. Mais ils sont clairement dans l’erreur.
Il est tout à fait possible d’enseigner les bases du tango et de laisser ensuite les danseurs suivre leur propre parcours personnel et développer leur propre style. »
« Cette danse, est tout sauf fossilisée : le tango n’est pas ce qu’il était hier ni ce qu’il sera demain. »
« Ce besoin d’identifier et de catégoriser à tout prix les différentes modalités de danse n’est pas proprement argentin, mais plutôt typique des pays qui ont domestiqué le tango. En catégorisant ainsi, on tend toutefois à forcer les traits et à modifier la réalité de ce que l’on souhaite définir. »
« Beaucoup de danseurs célèbres n’accepteraient pas d’être catalogués dans un style de tango déterminé plutôt qu’un autre. »
« On a trop souvent tendance à associer le tango nuevo au tango que l’on danse sur les morceaux de fusion entre le tango et la musique électronique. En réalité, le fait que le tango nuevo ait été expérimenté sur ce style de musique n’en fait pas pour autant un tango électronique. Méfions-nous de ces étiquettes trop automatiques qui portent à confusion. »
Sur la musique :
« Ce n’est pas la musique qui accompagne les danseurs, mais les danseurs qui accompagnent la musique. »
Sur les bienfaits du tango : « Étant moi-même psychanalyste, en dehors de l’Argentine j’ai souvent été invitée à m’exprimer sur le rapport entre le tango et la thérapie, c’est-à-dire sur la valeur thérapeutique que peut avoir le tango. Je tiens à clarifier d’emblée que les potentiels bénéfices thérapeutiques de la danse ne sont évidemment pas comparables aux effets d’un véritable traitement psychanalytique ou psychothérapeutique. Le tango est aussi thérapeutique que toutes les activités humaines qui proposent un chemin d’apprentissage et qui procurent du plaisir. »
Sur internet :
« Le tango est né dans les cours d’immeubles où se disputaient des Turcs, Italiens, Polonais, Russes, Espagnols, etc. Point de rencontre entre les divergences, Internet semble avoir hérité de cette tradition de la réunion, du mélange. »
« Il n’y a aucune distance qui puisse limiter l’expérience tanguera. Dans ce contexte, Internet représente un outil idéal pour faire se connaître tous ces passionnés. Internet a permis aux tangueros de se reconnaître. Beaucoup de danseurs européens ou américains qui n’ouvriraient pas leurs portes à leur voisin de palier accueillent à bras ouverts un compagnon de danse parfaitement inconnu, qui arrive d’un autre continent pour danser. Internet a créé une incroyable chaîne de solidarité. Dans cette époque de solitude et d’isolement, le tango constitue une promesse de rencontre.
Si autant de personnes voyagent pour le tango et si les milongas et les académies de Buenos Aires comptent aujourd’hui parmi les lieux les plus cosmopolites du monde, c’est grâce à l’essor d’Internet de ces dernières années. »
Sur l’histoire du tango :
En général, on entend dire que le tango ne fut accepté par la haute société porteña qu’après 1910.
En réalité – comme le montre cette photo tirée d’un numéro de « Caras y Caretas » de 1905 – il faisait déjà fureur dans les salons de toutes la ville avant cette date.
Bref, parce qu’il faut bien une conclusion, ce bouquin est une synthèse complète et équilibrée des choses importantes à savoir sur différents aspects du tango que les danseurs débutants seraient avisés d’acquérir pour se nettoyer des clichés et de « l’écume des choses »… et sur laquelle les autres auraient tort de zapper, tant il est certain qu’ils ne manqueront pas de redécouvrir (ou de découvrir tout court…) des fondamentaux et des informations importantes.
Lu et approuvé, donc. Et j’ajouterais : « à mettre entre toutes les mains ».
 Source : http://www.toutango.com/TANGO-LES-SECRETS-D-UNE-DANSE-de-Lidia-Ferrari_a2450.html
 
 
Références bibliographiques
 
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